L'enfance est probablement la plus belle époque, la plus pure ⊱ « De temps à autre, faire le point sur notre vie passée fait du bien. C’est quelque chose de nécessaire. On le doit. C’est tout. Et si je devais le faire aujourd’hui, eh bien, je commencerais probablement par le début de ma vie. Lorsque je suis née, il y a vingt deux ans, je n’ai pas fais l’unanimité auprès de ma famille. D’un coté, il y avait mon frère ainé et ma mère qui étaient plutôt heureux. Pour mon frère, le fait d’avoir une autre sœur était quelque chose de génial. Pour reprendre ses dires, j’étais « le bébé de maman », pas sa sœur et pourtant, il ne m’a jamais lâché. Même encore aujourd’hui. Pour ma sœur cependant, ce n’était pas la même histoire. Elle n’avait que deux ans et savoir qu’elle n’allait plus être la chouchoute de la famille. Dès cet instant là, il y a eu une espèce de rivalité. Mon père quant à lui avait été catégorique. Deux enfants lui suffisaient. Pas un de plus. Pas de moi en tout cas. J’étais en trop. J’étais l’enfant qui n’avait pas été désiré de la famille. » 

Les cris du nouveau né se font largement entendre dans la clinique de Londres. Un troisième enfant. Une troisième bouche à nourrir aux yeux de l’homme qui passe une main distraite dans ses cheveux bruns qui grisonnaient de plus en plus. Du haut de ses trente huit ans, son visage mât commence à être marqué par la fatigue du travail mais également des enfants qui le font sans cesse et sans répit courir. Il se laisse tomber contre le mur blanc. Sa seconde main rejoint à son tour ses cheveux poivre et sel. Il soupire. Il est fatigué mais maintenant que le bébé est là, il est bien décidé à l’assumer. Ses yeux bleus se ferment. Il voudrait réfléchir tranquillement, s’enfermer dans sa bulle mais il redescend rapidement sur terre en sentant la main de son fils ainé s’agripper à son tee shirt bleu marin. Discrètement, il lâche un nouveau soupire et, alors qu’il ouvre les yeux, il affiche sur son visage, au travers de sa barbe naissante, un sourire. Il se redresse et pose un regard bienveillant sur la petite tête brune. L’enfant repart presque aussitôt s’asseoir devant la poussette de sa seconde sœur qui sommeille tranquillement. Le sourire de l’homme s’agrandit légèrement à cette vue. Dans un geste lent, le regard bleuté du patriarche se pose sur une sage femme qui arrive. Sa charlotte sur la tête, sa blouse tâchée, elle retire ses gants dans une lenteur extrême, presque exagéré. L’homme se dressa, devenant droit comme un « i », attendant simplement qu’elle vienne lui parler. « C’est une fille. » ce sont les seuls mots qu’elle prononce dans un demi-sourire avant de finalement tourner le dos à l’homme. Ce dernier, soulagé, s’installe sur une chaise et tire la poussette à lui. La petite fille dort toujours à poings fermés. Son fils, quant à lui, se rapproche de sa sœur, se trainant sur son derrière. Sa petite main passe sur son front puis sur ses yeux clairs qu’il frotte. L’enfant laisse échapper un large bâillement bien malgré lui. Se mettant debout, il s’approche de son père qui le prend dans ses bras. Habituellement, à cette heure ci, il dort déjà et pourtant, ce jour là, il est debout à attendre sa nouvelle petite sœur qu’il a déjà tant attendue contrairement à sa cadette qui enchaine les caprices. Du haut de ses deux ans passés, elle semble comprendre parfaitement ce qu’il se passe. Alors que la sage femme revient, l’homme se lève, posant délicatement son fils sur la chaise.  « S’il vous plait ? » Il n’a pas besoin d’en dire plus que la femme d’une quarantaine d’années le pousse vers la salle où est sa femme, promettant fermement de s’occuper des deux bambins pendant ce temps là.

Tu es trop belle pour être gentille. C’est pourquoi tu détruit tout ce que tu touches. ⊱  « Siobhàn-Sixteen Bambi ? Sérieusement ? Mais tes parents étaient bourrés ou alors ils ne t’aimaient vraiment pas ? » La fillette de huit ans regarde d’un œil des plus mauvais la seconde enfant, tout juste plus âgée qu’elle. Se levant, elle croise ses bras contre son ventre. Derrière elle, d’autres filles arrivent en ricanant. Elles commencent à tirer ses cheveux bruns. Siobhàn ne bronche absolument pas, elle se laisse faire. Les filles continuent leur petit manège. Elles agrippent désormais sa robe. Le tissu se déchire sous la pression qu’elles exercent. Par chance, la robe tien encore sur le corps menu de l’enfant, la couvrant. La petite victime reste debout. Ses bras tombent. Elle ferme les yeux alors que les trois autres courent autour d’elle. De temps à autre, elle reçoit des claques de mains perdues dans l’élan de la course. Koneradt continue d’encaisser sans rien dire. Ce n’est pas la première fois. Au fil des gifles, ses joues rosissent. Elle aimerait qu’on l’aide mais dans ce coin caché derrière le bâtiment le plus éloigné de l’école, il n’y a personne hormis elle et ses trois bourreaux. Tout ce qu’elle souhaite, c’est entendre la sonnerie retentir pour voir les trois petites garces la laisser en plan et aller se ranger deux par deux dans le rang de leur classe.  « De toute façon, on s’en fou. T’es moche et tu pues ! » Les trois fillettes rigolent de bons cœur, fières d’elles.  « Tu dois finir comme ta mère. A l’hôpital parce que personne veut de toi. » Une autre renchéri. Leur manège continue alors que Siobhàn n’a qu’une seule et unique envie : pleurer. Mais elle tien bon et garde les yeux clos. Elle reçoit un coup plus violent qui la fait tomber sur le bitume. Ses bourreaux en profitent pour lui donner quelques coups de pieds, l’empêchant de ce fait de se relever. Comme si une certaine force ai pitié d’elle, la petite brune entend la sonnerie. Les fillettes s’arrêtent et partent en courant vers leur rang. Siobhàn quant à elle, reste sur le sol. Cette fois ci, seule, elle se laisse aller aux larmes. Ses jambes remontent contre sa poitrine plate. D’une main distraite, elle ramène à elle les lambeaux de tissu qu’est devenue sa robe verte préférée, offerte par sa mère avant son admission à l’hôpital. Un cancer. Une connerie. Une vraie. Qui bousille tout le monde. Les enfants en premier. Siobhàn particulièrement. Elle reste de nombreuses ainsi, prostrée, repliée sur elle-même. Les larmes ravalent ses joues rouges de part les coups qu’elle a reçus.  « Siobhàn ?! Oh mon dieu ! Mais qu’est ce qu’il s’est passé ? » L’enfant n’ose pas ouvrir les yeux mais se laisse faire lorsque la jeune professeure la redresse. Cette dernière la prend dans ses bras, caressant ses cheveux bruns pour la rassurer.  « Qui t’as fait ça ? » Elle la redresse et, s’assurant que personne ne les regarde, elle emmène la fillette dans la bibliothèque de l’école. En ouvrant la réserve, elle en sort quelques vêtements de rechange afin d’habiller l’enfant plus correctement. Siobhàn enfile donc un tee shirt gris bien trop grand pour son corps frêle. Elle tente de se dépêcher mais la jeune femme remarque rapidement ses hématomes.  « Sio, depuis combien de temps ça dure ? » L’enfant essaie de sécher ses larmes d’un revers de la main et, fuyant le regard de la professeure, elle répond.  « Je suis tombée dans les escaliers et mon chat a griffé ma robe. » Malgré ses souffrances, il était hors de question pour elle de dénoncer ses bourreaux, probablement par peur de représailles.

Entrant dans une nouvelle école – privée cette fois ci et bien plus à cheval sur les règles – en cours d’année, la fillette tente tant bien que mal de s’intégrer. Les premiers jours sont, comme toujours, les plus difficiles. Et, ne voulant pas prendre de risques, le père de Siobhàn décide d’y inscrire ses deux autres enfants. C’est un nouveau départ pour elle. Et cette fois ci, elle est bien décidée à laisser sa mère de coté, dans sa chambre d’hôpital de peur de subir de nouveaux coups.

Parce qu'on est jeunes et cons, parce qu'ils sont vieux et fous ⊱ Elle se trémousse sur une table. D’un coup de pied rythmé sur la musique, elle fait tomber un verre de champagne. Le liquide tâche la robe d’une fille éméchée qui est étalée sur le sol, incapable de rester debout. Cette vision déclenche les rires d’une Siobhàn loin d’être dans son état normal. Du haut de ses dix sept ans, elle a tout d’une grande. Loin d’elle l’image de la fillette de huit ans qui se faisait frapper tous les jours à l’école par des bourreaux sans scrupules. Loin d’elle la vision de la gamine brisée par la vue de sa mère allongée et comateuse sur son lit d’hôpital, attendant que son cancer en stade final ne l’emporte loin de sa famille qu’elle chérie tant. Loin d’elle l’image lisse et calme. D’un énième coup de pied, elle envoie valser ses escarpins hors de prix. Elle relève sa main qui tien une coupe de champagne pleine vers son visage. En quelques gorgées seulement, la coupe se retrouve vide. Siobhàn tourne sur elle même et lâche par inadvertance la coupe sur le sol qui se brise sur le coup. Elle éclate de rire et, dans un saut léger, elle descend de la table.  « Maël ! » Totalement ivre, elle court vers le jeune homme, manquant de trébucher à plusieurs reprises. Arrivant à sa hauteur, elle se pend à son cou et se laisse faire lorsque les mains de Maël passent sous ses cuisses pour la soulever. Elle remonte sa petite robe noire et encercle le bassin du jeune homme de ses jambes. Approchant son visage du sien, elle donne un long baiser langoureux. La main du brun va se placer dans les cheveux bruns de la belle qui rompt cet échange. Passant ses mains sur ses joues, elle sent sa barbe naissante.  « Tu as ma dose ? » Il rigole et, gardant la brune dans ses bras, il quitte le salon pour amener la jeune fille dans l’une des chambres de la demeure. Ils ne savent même pas chez qui ils sont. Arrivés dans la pièce, Maël la pose sur le lit, ferme la porte et, alors qu’il l’allonge, ses lèvres parcourent le cou dénudé de Siobhàn. Il finit par s’éloigner d’elle et sort de la poche de sa veste un petit paquet de poudre blanche. Les yeux de la demoiselle s’écarquillent.  « Sois patiente, bébé. »

« Sio, réveille to, bordel de merde. » Elle grimace et passe une main sur ses yeux qu’elle frotte, étalant de ce fait tout son maquillage charbonneux sur son visage. Sa bouche est pâteuse. Elle a besoin de boire. De l’eau mais autre chose ne serait pas de refus non plus. Deux mains fermes l’agrippent et la secouent.  « Hum… » Elle est incapable de parler, sa bouche étant bien trop sèche. Ses yeux, quant à eux, peine à s’ouvrir correctement. Elle bat plusieurs fois des cils avant de fixer son regard bleu sur son frère qui se tien au dessus d’elle. « T’en a pas marre de jouer les égoïstes et de te bourrer et te défoncer tous les soirs ? » Elle gémit et se dégage de l’emprise de son frère.  « Ta gueule. Amicalement. » Elle pose une main sur sa tête et grimace à nouveau. Une migraine. « « ta gueule » ? Vraiment ? T’as pas mieux de bon matin ? » Elle plante son regard vers lui et essaie de se lever. Cependant, elle retombe mollement sur son lit ce qui déclenche d’autres rires. Sa sœur. « Les lendemains de soirées, tu fais vraiment pas ta fière. Tu crois que maman serait… »  « Ferme-la. T’es qu’une conne. Tu sais pas ce qu’elle voudrait. Et arrête de jouer les saintes nitouches, t’es pas mieux que moi à fumer en cachette comme une gamine de douze ans. T’en a dix neuf et t’assume pas de fumer. » Furieuse, l’ainée s’approche d’elle et la gifle avec force, faisant retomber une Siobhàn encore ivre sur son lit. Le jeune quant à lui la regarde, désespéré. « C’était obligé ? » « Oui. » Elle tourne les talons et claque la porte derrière elle.

Tu te consumes de l’intérieur, tu brûles et tu le gardes pour toi surtout (...) autrement tu passes forcément pour un con... ⊱ Les larmes dévalent ses joues rosées, le noir de son maquillage qui coule fait paradoxalement ressortir ses yeux bleus. « Maël… » Sa voix se brise en un sanglot. Ce n’est qu’un murmure. Maël quant à lui, ne la regarde pas. Il hausse les épaules. Il lui lance son paquet de coke au sol. En manque, elle se précipite dessus et le range dans la poche de son jean moulant. Lorsqu’elle se relève, Siobhàn s’approche de lui, passant ses mains sur le beau visage de l’homme. « Laisse moi je t’ai dis. » Ces mots sont comme un coup de couteau. « Mais je t’aime, moi. Tu t’en fou ? » Il soupire et lève les yeux au ciel. Il la pousse. « Oui, j'm'en contre balance. » Encore éméchée et défoncée, Siobhàn tombe dans la piscine derrière eux. Elle se laisse couler. Sonnée, elle est tout simplement incapable de nager par elle-même. Elle sombre. Au fond, elle ne pouvait pas tomber plus bas que ça. Il se retourne. Il lui faut quelques secondes avant de plonger dans l’eau gelée par ce mois de novembre. Lorsqu’il la sort, elle tousse, recrachant l’eau chlorée qu’elle a ingurgitée. Pleurant, elle se blottie contre le jeune homme qui ne la repousse pas. « Va t’en. Tu as la chance d’aller à Manchester et de commencer une nouvelle vie. Tu le mérite. Arrête la drogue, l’alcool. Arrête les mecs. Oublie-les. Oublie-moi et prends un nouveau départ. » « Non… » « J’suis qu’un malheureux dealer qui vient des beaux quartiers londoniens. Et toi, tu n’es pas conne. »

Elle inspire longuement et reprend sa marche dans les rues de Manchester. Elle ment. Comme elle respire. Elle a promis de se créer une nouvelle vie et laisse donc sa vie de droguée et de débauche derrière elle. Mais c’est dur. Chaque jour. Elle est en manque permanent. De drogue. De coke et d’alcool mais surtout de l’amour qu’elle porte à Maël. Mais c’est comme s’il était mort. Il ne répond pas à ses appels désespérés. Au fond, elle ne peut se reposer que sur son frère. Sa sœur l’ignore et son père n’est jamais là. Elle pense des fois que c’est lui qui aurait dû mourir d’un cancer et pas sa mère. Elle a bien trop besoin d’elle. Et pourtant, elle avance droit faire la faculté d’art où elle s’est inscrite. Au départ, c’était sur un coup de tête mais maintenant, elle doit bien avouer que cette filière lui plait bien. Elle lui correspond. Les artistes étaient souvent seuls, alcooliques et drogués. Et, paradoxalement, elle a décidé de travailler dans un bar, gardant les verres plein loin d’elle. Elle meurt pourtant d’envie de reboire, ne serait-ce qu’une goutte. Sentir le liquide brûler doucement son œsophage pour descendre jusqu’à son estomac mais elle continue de se faire violence. Elle est rangée. Elle tente de faire tout pour et de s’en convaincre, tant bien que mal. Parfois, Siobhàn se dit qu’elle aussi, elle a le droit à sa part de bonheur. Pas uniquement les autres.